samedi 20 septembre 2008

deuxième chapitre

On est bien peu de chose, mon nouvel ami me l’a dit ce matin…
Si le flingue était là, c’était à cause des trois heures du jeudi. Déjà, trois heures d’affilée ce n’est pas légal, mais je doute que ce soit cette illégalité qui me plonge dans un tel état.

Les trois heures du jeudi gâchaient ma semaine.
Pourtant, j’en ai donné des heures ! J’en ai vu des cas ! Mais je les ai toujours aimés. Du moins, j’ai toujours eu un minimum d’affection pour eux. Là c’est différent.

Quatre ans de métier et c’est la première fois que j’ai une boule aussi grosse. La boule qui commence le dimanche soir, toute petite, insidieuse, presque inexistante. Je tente comme je peux de la faire disparaître. Je regarde des films, je lis, j’ai même fumé quelques joints, je suis même allée voir un psy. Rien à faire, rien n’y fait.

Je suis pourtant calme, pleine de sang froid. Et, si ce métier n’était pas fait pour moi, je pense qu’en quatre ans j’aurais eu quelque doute. Je n’en ai jamais eu. Jusqu'à eux.

Des boules j’en ai eu, c’est normal : tout métier a son lot de boules au ventre. Il ne faut pas oublier que le mot travail vient du latin tripallum, un instrument de torture très prisé dans les cirques romains. Mais quand même, j’ai toujours fait partie de ceux qui pensent que le travail c’est la santé.
Sauf que là, ma santé n’est plus ce qu’elle était. Crises de spasmophilie mensuelles, aphonie un week-end sur deux.
J’évite les somnifères car j’ai l’impression qu’ils me lobotomisent et le lendemain ma mémoire n’est plus qu’un trou béant.

Ca fait quatre mois que je fais comme je peux. Mais je ne peux plus : la boule est plus forte.
Au fil de la semaine, la boule gagne du terrain : elle descend de la gorge vers le ventre, pour aboutir à des crampes d’estomac qui bouffent mes nuits. Elle atteint son paroxysme le mercredi, la veille du jeudi noir.

Trois heures. Trois heures par semaine.

Comment trois petites heures de rien du tout peuvent-elles me mettre dans cet état ? Cette seule question me désole.

lundi 1 septembre 2008

premier chapitre

Ca y est. C’est aujourd’hui le grand jour, c’est décidé.

J’ai l’arme depuis deux mois. Le neuf millimètre que m’a vendu Niels. Il est gentil Niels : il m’a crue sans problème quand je lui ai dit que c’était pour ma légitime défense, que j’avais peur, toute seule, dans ce grand appartement, que j’étais une personne responsable. Il n’avait pas besoin de beaucoup d’arguments Niels, il a du refiler des armes à des personnes autrement plus irresponsables que moi… C’est l’avantage quand les gens vous considèrent comme quelqu’un de responsable et de respectable : ils vous donnent un flingue comme un bon dieu sans confession.

Je suis responsable. Je suis respectable. Ma fonction fait de moi quelqu’un de respectable. Et pourtant…Je ne vais pas tarder à perdre toute respectabilité.

Deux mois que ce canon repose dans le tiroir de ma table de nuit.

Je savais depuis le début la véritable destinée de cette arme. Légitime défense ? Oui, c’est à peu près ça…

- Pour le charger, rien de plus simple, tu vois… tu enlèves le cran de sûreté et après, c’est ton doigt qui fait tout. Tiens le bien fermement… Mmmmhhh… tu t’en sors bien. On dirait que t’as fait ça toute ta vie !!! J’ai de la coke aussi si tu veux…

- Non merci Niels, ça ira !

Merci pour tout Niels, au revoir.

Et maintenant il dort.

Lové dans le tiroir de ma table de nuit mon Beretta sommeille et rêve, certainement à ce qui l’attend.

Mes nuits sont plus tranquilles depuis, même si elles demeurent trop courtes à mon goût. J’aimerais hiberner comme les animaux, ce serait toujours ça de moins à vivre.

Posséder une arme vous rend consciemment ou inconsciemment plus fort, étrange phénomène de la force matérielle.

Je ne me sens pas folle pourtant, pas plus que ça. J’ai peut-être trop de conscience professionnelle, je m’accroche alors que d’autres lâcheraient l’affaire.

Si je n’avais pas accepté ce remplacement je n’en serais pas là.

J’ai essayé pourtant de rester zen : d’abord les ridicules gélules aux plantes (qui m’ont rendue momentanément plus insomniaque), puis j’ai fait du yoga, bien appliquée, le cœur et l’âme à l’ouvrage.

Rien à faire. Rien n’y fait. Même les cours de boxe thaï. A la limite, la musique atténue momentanément la boule, mais ça ne suffit pas.

Sinon, je ne serais pas dans mon lit à sourire de satisfaction parce qu’un flingue dort dans mon tiroir…