dimanche 19 octobre 2008

quatrième chapitre

Les trois heures du jeudi matin. Deux heures de français et une heure d’histoire-géographie. Trois heures avec la même prof, trois heures avec les mêmes élèves : même avec une pause et une récréation d’un quart d’heure c’est un suicide.

Trente-trois élèves. Trente-trois gamins largués. Trente-trois petits êtres fragiles dont les familles sont pour la plupart en situation de crise. Et encore, ce ne sont pas ceux qui ont les pires familles qui sont les pires, au contraire.

Il y a Jennifer, qui ne dit jamais rien, qui ne comprend jamais rien. Son père va aller en prison car il a touché plusieurs de ses copines : qu’est-ce que tu veux vouloir comprendre avec ça ? Qu’est-ce qui peut t’intéresser quand la figure paternelle, censée symboliser le respect et l’autorité, ne respecte rien ?

Il y a Nicolas. Il est gentil Nicolas, il fait des efforts et ne bavarde pas trop. Mais quand il rentre chez lui il trouve un père ivre-mort qui le tabasse à la moindre occasion. Les flics sont intervenus chez lui il y a deux semaines : son père allait presque le tuer. Les flics sont venus, ont intimidé le père qui, promis juré, ne recommencera plus. On laisse faire. Peut-être que le jour où le père tuera vraiment son fils on fera quelque chose, et encore…

Je ne sais pas comment il fait Nicolas pour s’intéresser encore à quelque chose, pour venir en cours le sourire aux lèvres.

Abdel et Maxime, intelligents mais chiants au possible, toujours à parler, à faire une connerie. L’un est orphelin, l’autre a un père mort et une mère internée en psychiatrie, du coup ils se retrouvent dans le même foyer. Tu m’étonnes qu’ils veuillent se faire remarquer.

J’ai voulu virer Maxime l’autre fois car il roulait une clope en cours : « C’est pour la récré madame, on a pas le temps sinon !!!! »

Je l’envoie chez le CPE avec le délégué. Ils reviennent dix minutes après, accompagnés de ce cher conseiller. Apparemment il l’a un peu jeté, juste ce qu’il faut pour que l’élève arbore un sourire narquois, genre « je viens de me faire jeter, mais j’en ai vraiment, mais alors vraiment, pas grand’chose à foutre !!! ». Machin, le CPE, me prend à partie : « Tu sais, tu peux pas le virer de cours pour la clope. Il m’a promis de ne plus recommencer. Sinon on le vire définitivement de toute façon. Mais si on commence à en virer un de cours pour ça, je me retrouve peu de temps après avec la plupart des classes dans mon bureau, on peut pas gérer ça tu comprends ? »

Je comprends surtout que si on continue comme ça on va se retrouver dans une merde noire. Mais bon, laissons faire, si le CPE le dit.

Le CPE me chuchote même « tant qu’il roule pas un joint !!! » avant de rire grassement : un mec exceptionnel.

Il y a David. David a tout pour lui : une famille apparemment équilibrée, des cours le soir pour l’aider aux devoirs. Dès que David veut -ou envisage de vouloir- quelque chose, il l’a, c’est un enfant-roi, comme on sait si bien les faire aujourd’hui. David est certainement le plus chiant de mes élèves ; c’est un monarque, c’est normal. Quand je lui dis de se taire, il me répond « oui oui » avant de se remettre à bavarder, le tout avec une déconcertante innocence. Je lui foutrais des claques à longueur de journée.

Ludivine, qui lors du dernier cours se dessinait des étoiles sur les mains plutôt que d’écrire. Bien appliquée, de belles étoiles au stylo-feutre bleu (pas du tout toxique pour la peau) qui recouvrent le dessus de sa main. Quand on convoque Ludivine et sa mère, cette dernière demande à être reçue séparément tellement elle ne supporte plus sa fille.

Je m’avance vers elle à pas de loup.

- Tu ne prends pas le cours Ludivine ?

- Nan… Ca m’intéresse pas de toute façon !

- Oui, mais si tu es en classe, c’est pour suivre le cours. Sinon tu ne viens pas.

- Ben si, je veux voir mes copines ! Et puis, j’veux pas continuer dans cette section… Et puis, le français ça sert à rien.

Tout en me révélant cet argumentaire en béton armé, elle me regarde dédaigneusement et de façon provocatrice. Elle cherche les limites.

Ne t’inquiète pas Ludivine, tu les trouveras bientôt. Tu en seras bien surprise !!!

Je reste calme, inutile de s’énerver face à tant de bonne foi. Je lui ordonne de prendre le cours sinon c’est la porte qu’elle prendra. Ludivine soupire en gonflant les joues exagérément, elle finit sa dernière étoile avant de daigner se mettre au travail.

Ce qui m’impressionne le plus, c’est qu’au cours suivant la même Ludivine sera attentive et participera. C’est comme ça. La miss a décidé d’être détestable un cours sur deux : une technique de pro (niveau sociopathe).

Alors voilà, ça fait quelques jeudi que je viens en cours avec le flingue dans le sac et, bizarrement, je me sens plus zen.

2 commentaires:

sylvie lauzel a dit…

... nan klé le flingue faut pas !
Faut pas! Tu vas te retrouver entre les murs pour de bon.
SAUVER L'ECOLE ! Il faut sauver les écoles et les profs avec et les enfants avec. Leur réapprendre à apprendre. Leur apprendre la vie qui les attend avec les sciences éco, l'instruction civique, tout ça !
Faut pas les laisser tomber ces petits ... c'est notre avenir !

Clémence a dit…

euh, c'est une fiction (plus ou moins:))