dimanche 5 octobre 2008

troisième chapitre

Ma famille et mes quelques amis compatissent, me conseillent de faire abstraction. J’ai bien peur que le seul moyen de faire abstraction soit ce flingue que je trimbale dans mon sac tous les jeudis matin.
Ils sont gentils mes amis : tous les mercredis soirs ils organisent une sortie, un apéro, un ciné pour me changer les idées. L’humain est bien faible. L’inconscient le domine et, malgré les films, malgré les verres, quand j’entre dans mon lit je retrouve la boule. Même si le film était bon. Même si les verres étaient forts.
Je me sens si faible. Si faible d’avoir besoin d’un flingue pour être forte.

Je n’en ai pas parlé à Alain, mon fiancé. Il est parti deux mois en Russie pour son travail et quand je l’ai au téléphone je préfère lui parler d’autre chose. Mais Alain me connaît bien : il sent que quelque chose ne va pas, il était là au début de ce remplacement. L’autre soir, sans que je lui révèle quoi que ce soit, il m’a conseillé de me mettre en maladie si j’étais fatiguée.

- Tu sais, ils trouveront bien une remplaçante à la remplaçante ! Je ne veux pas que tu te ruines la santé pour ces merdeux ma chérie !

Il est bien gentil Alain mais je n’ai jamais abusé à ce niveau : juste deux jours pour cause de maladie il y a deux ans. Et encore, j’avais mauvaise conscience de laisser mes élèves à l’abandon trois mois avant le bac français. Je dois tenir cette conscience professionnelle de mon père, qui en quarante ans d’enseignement ne s’est arrêté que trois jours, à la mort de sa mère.
Il m’avait prévenue, mon père, quand j’ai choisi cette voie, juste avant sa retraite…

- Tu sais, c’est un beau métier, mais ils sont de plus en plus chiants… Je ne sais si ça vient d’eux ou du système, mais il y a un gros problème d’adaptation, je ne crois pas que cela va s’arranger…

J’avais pris ses paroles comme un défi et j’avais fait fi de ses avertissements.
Je pensais naïvement qu’avec moi ce serait différent, qu’ils s’adapteraient. Mes quatre premières années ont d’ailleurs été du pur bonheur : je n’avais même pas l’impression de travailler lorsque j’allais au lycée !

J’ai toujours eu des sections « difficiles », que je trouvais humainement plus intéressantes que les sections « normales ».
Avec des élèves en difficulté, on ne peut que progresser, on leur apprend forcément quelque chose : il y a tellement de lacunes à combler, et j’y prenais un réel plaisir, et je souriais en repensant aux sages paroles de mon père.
Aujourd’hui je comprends enfin ce qu’il voulait dire. Malheureusement. Je donnerais n’importe quoi pour ne pas comprendre.

1 commentaire:

Lislandais a dit…

Prochain épisode le 20 octobre ?
Je ne sais pas comment vous faites pour être si certaine de pouvoir livrer un épisode de plus à une date aussi précise !
Vous m'épatez chère Klé :)
Je ne sais même pas si je parviendrais à achever mon "Sex à Reykjavik" d'ici la fin de l'année alors qu'il me reste à peine une dizaine de pages.
Vivement le 20 donc !